Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte 

L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II

SZRKG Band 113L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II10.24894/2673-3641.00040 15.11.2019Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte Band 113:295-318Philippe Roy-LysencourtKurzbeschreibung L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II Pendant la première intersession du concile Vatican II (1962–1965), Mgr Marcel Lefebvre, supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit et président du Coetus Internationalis Patrum (principal groupe d’opposants au sein du Concile), demanda l’aide d’un peritus privatus, l’abbé Victor-Alain Berto. Celui-ci, prêtre séculier du diocèse de Vannes, était alors en charge d’un orphelinat. Dans cet article, l’auteur présente le parcours préconciliaire de ce prêtre en mettant en évidence les raisons qui expliquent que Mgr Lefebvre l’ait choisi comme théologien personnel, la participation de cet homme au Concile, ainsi que sa réception de l’événement. Pater Victor-Alain Berto und das II. Vatikanum In der ersten Intersession des Zweiten Vatikanischen Konzils (1962–1965) bat Bischof Marcel Lefebvre, Generaloberer der Kongregation des Heiligen Geistes und Präsident des Coetus Internationalis Patrum (die Hauptgruppe der Opponenten am Konzil), um die Hilfe eines peritus privatus, Pater Victor-Alain Berto. Dieser, ein Weltpriester aus der Diözese Vannes, leitete damals ein Waisenhaus. In vorliegenden Artikel stellt der Autor den vorkonziliaren Werdegang dieses Priesters vor, wobei er die Gründe hervorhebt, warum Bischof Lefebvre ihn zu seinem persönlichen Theologen gewählt hat, dann seine Teilnahme am Konzil sowie dessen Rezeption. Padre Victor- Alain Berto e il Concilio Vaticano II Durante la prima intersessione del concilio Vaticano II (1962–1965), il vescovo Marcel Lefebvre, superiore generale della congregazione del Santo Spirito e presidente del Coetus Internationalis Patrum (principale gruppo d’oppositori nel Concilio), chiede l’aiuto di un peritus privatus, padre Victor-Alain Berto. Costui, prete laico della diocesi di Vannes, allora dirigeva un orfanotrofio. In questo articolo, l’autore presenta il percorso preconciliare di questo prete, mettendo in evidenza le ragioni che spiegano perché Monsignor Lefebvre l’aveva scelto come teologo personale, la partecipazione di questo uomo al concilio e come egli recepì questo evento. Father Victor-Alain Berto and the Second Vatican Council During the first session of the Second Vatican Council (1962–65), bishop Marcel Lefebvre, general superior of the Congregation of the Holy Spirit and president of the Coetus Internationalis Patrum (the main group of opponents at the Council) asked for the help of a peritus privatus, Father Victor-Alain Berto. Berto, a secular priest from the diocese of Vannes, was the director of an orphanage at that time. In this article, the author presents the preconciliar career of this priest by highlighting the reasons why bishop Lefebvre elected him as his personal counselor during his participation at the Council and its reception. L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II Philippe Roy-Lysencourt Lors du concile Vatican II, l’abbé Victor-Alain Berto fut le peritus privatus de Mgr Marcel Lefebvre et l’un des théologiens du Cœtus Internationalis Patrum (CIP), qui fut le principal groupe traditionaliste au concile Vatican II.1 Il est difficile de connaître avec précision la date à laquelle le Cœtus est né car les archives sont très lacunaires sur ses premières heures. Elles permettent néanmoins de prouver qu’un premier «piccolo comitato» s’est formé autour de Mgr Lefebvre dès les premiers jours du Concile2 et qu’il s’est constitué de façon progressive au cours de la première session, se renforçant au fil des jours, alors qu’il devenait de plus en plus évident que la trajectoire donnée au Concile par les commissions préparatoires était en train de disparaître au profit d’une orientation héritée des différents mouvements (biblique, liturgique, œcuménique, etc.) qui avaient traversé l’Église depuis le début du XXe siècle. Pendant la première session, il y eut donc un premier «Groupe d’Étude», ancêtre du Cœtus Internationalis Patrum, mais ce n’était pas un groupe organisé, structuré, avec une stratégie clairement définie. Il s’agissait d’un regroupement anonyme de Pè1 À ce sujet, voir nos travaux, notamment: Philippe Roy-Lysencourt, Le Cœtus Internationalis Patrum, un groupe d’opposants au sein du concile Vatican II, thèse de doctorat en cotutelle, Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, Département d’Histoire de la Faculté des Lettres et Civilisations de l’Université Jean Moulin Lyon 3, 2011, 331 p.; Philippe Roy-Lysencourt, Les membres du Cœtus Internationalis Patrum au concile Vatican II. Inventaire des interventions et souscriptions des adhérents et sympathisants. Liste des signataires d’occasion et des théologiens, Leuven, Peeters, Maurits Sabbe Library, Faculty of Theology and Religious Studies (Instrumenta Theologica XXXVII), 2014, 484 p.; Philippe Roy-Lysencourt, Les vota préconciliaires des dirigeants du Cœtus Internationalis Patrum, Strasbourg, Institut d’Étude du Christianisme, 2015, 106 p.; Philippe Roy-Lysencourt, Histoire du Cœtus Internationalis Patrum au concile Vatican II, in: Laval Théologique et Philosophique 69 (2013), n° 2, 261–279. 2 Archives du Séminaire d’Écône (ASE), E02-05, 001, lettre de Mgr Marcel Lefebvre au cardinal William Godfrey, Rome, 19 octobre 1962. ——— SZRKG, 113 (2019), 295−318. 296 Philippe Roy-Lysencourt res conciliaires «d’orientation traditionnelle»3, réunis spontanément pour lutter contre la direction que prenait le Concile. Il n’était question que d’un groupe de personnes déroutées par la tournure des événements, sans stratégie en raison de l’évolution imprévue et imprévisible du Concile, et mises sur la défensive, sans être en mesure d’articuler une défense cohérente. Les choses évoluèrent pendant la première intersession et la deuxième session. C’est pendant cette période que le groupe fut créé et qu’il se dota d’une structure et d’une stratégie, sans toutefois prendre de nom. Selon les archives, la décision de former un groupe organisé fut prise pendant la première intersession par Mgr Geraldo de Proença Sigaud (archevêque de Diamantina, Brésil) et Mgr Lefebvre, lequel s’assura du concours des bénédictins de Solesmes4 et de l’aide d’un peritus privatus, l’abbé Victor-Alain Berto.5 Ce dernier devint rapidement le théologien du groupe au sein duquel il joua un rôle de premier plan. Qui était l’abbé Berto et comment expliquer que Mgr Lefebvre l’ait choisi comme peritus? Quelle fut sa participation à Vatican II? Comment reçut-il le Concile? C’est à ces questions que nous allons répondre dans cet article. Le parcours préconciliaire de l’abbé Victor-Alain Berto Pour comprendre les raisons pour lesquelles Mgr Lefebvre, qui était alors supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit, a choisi comme peritus privatus un prêtre séculier du diocèse de Vannes en charge d’un orphelinat, il faut présenter le parcours de cet homme avant Vatican II, considérer les liens qu’il avait avec l’archevêque, de même que son opinion sur le Concile. La formation romaine et la vie de l’abbé Berto avant le Concile: Victor-Alain Berto6 naquit le 9 octobre 1900 à Pontivy en Bretagne. Après l’obtention de son baccalauréat, il continua ses études à l’Université, en philosophie et en 3 4 5 6 ASE, E02-09A, 001, lettre de Mgr Geraldo de Proença Sigaud à Mgr Marcel Lefebvre, Diamantina, 18 avril 1963. ASE, E02-09A, 001, lettre de Mgr Marcel Lefebvre à Mgr Geraldo de Proença Sigaud, Paris, 4 mai 1963. Archives des Dominicaines du Saint-Esprit (ADSE), Fonds V.-A. Berto, lettre de l’abbé V.-A. Berto au chanoine Madec, 19 septembre 1963; «Notice biographique», Notre-Damede-Joie. Correspondance de l’abbé V. A. Berto, prêtre 1900–1968, Paris 21989, p. 41. Sur l’abbé V.-A. Berto, voir les pages 1 à 193 du n° 132 de la revue Itinéraires (1979); Pour la Sainte Église Romaine. Textes et documents de V.-A. Berto prêtre 1900–1968, Paris 1976, 437 p.; Notre-Dame-de-Joie. Correspondance de l’abbé V. A. Berto, prêtre 1900–1968, Paris 1989, 333 p.; Le Cénacle et le Jardin. Intelligence et spiritualité du sacerdoce à travers les écrits de V.-A. Berto, prêtre, Bouère 2000, 415 p.; Guy Scriff, L’abbé Berto et la Mission de France. Une imprévisible amitié, Bouère 2002, 311 p.; RoyLysencourt, Le Cœtus Internationalis Patrum (voir note 1); Roy-Lysencourt, Les membres du Cœtus (voir note 1). L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II 297 médecine.7 En 1920, il fut admis dans le Tiers-Ordre dominicain dans lequel il fit profession à Rome en 1922. Entre-temps, en 1921, il était entré au Séminaire français de Rome où il resta jusqu’en 1926, période durant laquelle l’établissement était dirigé par l’antilibéral et intransigeant père Henri Le Floch, sympathisant de l’Action française. Celui-ci eut une grande influence sur lui,8 comme en témoigne par exemple le mot qu’il lui écrivit en 1936, à l’occasion de son jubilé d’or sacerdotal: «J’ai besoin de vous dire ma reconnaissance, en ces jours où vous venez de célébrer le cinquantième anniversaire de votre ordination sacerdotale. Oui, vous m’avez régénéré, réengendré. Après cinq ans passés à Rome, sous votre influence joyeusement acceptée, ou plutôt avidement recherchée, je suis sorti de vos mains transformé. Vous m’avez tellement marqué, tellement pétri, que je ne puis plus rien faire qui ne porte le signe de votre influence. Je m’en rends compte et j’en rends grâce au Père céleste de qui vient tout don parfait: aucune action, je ne dis pas égale, mais comparable à la vôtre ne s’est jamais exercée sur moi. Je reprends la parole de saint Paul: je puis bien avoir eu dix mille instituteurs, je n’ai ici-bas qu’un vrai père de mon être spirituel, et c’est vous, vous mon Père pieusement vénéré. [...] Quelques-unes de vos paroles me reviennent sans cesse, comme des maximes propres à éclairer toute ma vie sacerdotale [...] C’est à l’épreuve du ministère, c’est auprès des âmes que j’ai connu ce que je vous dois. C’est alors que j’ai vu que je n’avais qu’à vous être fidèle pour être fidèle à mon sacerdoce et fidèle à l’Église de Dieu.»9 Au-delà de la personne de l’abbé Berto, le Séminaire français fut l’un des principaux foyers du Cœtus Internationalis Patrum et il peut être considéré comme appartenant à sa préhistoire, c’est-à-dire qu’il explique la formation du groupe au Concile. En effet, il est probable que le CIP n’aurait pas existé sans le Séminaire français de Rome, cela pour deux raisons. Tout d’abord les principaux membres français du groupe y sont passés, s’y sont connus et y furent formés par le père Le Floch.10 En plus de l’abbé Berto, il faut nommer Mgr Marcel Lefebvre, Mgr Pierre de la Chanonie, Mgr Jean Rupp, dom Georges Frénaud et dom Paul Nau, moines de Solesmes, l’abbé Raymond Dulac, et Mgr Henri 7 8 9 10 Raymond Dulac, L’abbé V.-A. Berto, homme de Dieu, in: Itinéraires, n° 132 (1969), 58. Paul Airiau, Le séminaire français de Rome du père Le Floch, 1904–1927, doctorat d’histoire, Institut d’études politiques de Paris, 2003, 953 p.; Paul Airiau, Henri Le Floch, recteur du Séminaire français (1904–1927), in: Philippe Levillain/Philippe Boutry/YvesMarie Fradet (ed.), 150 ans au cœur de Rome. Le Séminaire français 1853–2003, Paris 2004, 103–118; Paul Airiau, Le Séminaire français de Rome, in: Paul Coulon (ed.), Action française, Décolonisation, Mgr Lefebvre. Les Spiritains et quelques crises du XXe siècle, in: Histoire & Missions Chrétiennes, n° 10 (2009), 33–67; Paul Airiau, Le Séminaire français de Rome du père Le Floch (1904–1927). Faits et problématiques, in: Mémoires spiritaines, n° 17 (2003), 127–144. Henri Le Floch, Cinquante ans de sacerdoce, Aix-en-Provence 1937, 206–209. Roy-Lysencourt, Le Cœtus Internationalis Patrum (voir note 1), 134–157. 298 Philippe Roy-Lysencourt Lusseau. Deuxièmement, la formation qui y était donnée sous le supériorat du Père Le Floch était romaine, contre-révolutionnaire et antilibérale.11 Voici ce que disait Mgr Lefebvre de cette formation: «Le père Le Floch nous a fait entrer et vivre dans l’histoire de l’Église, dans ce combat que les forces perverses livraient contre Notre-Seigneur. Cela nous a mobilisés contre ce funeste libéralisme, contre la Révolution et les puissances du mal à l’œuvre pour renverser l’Église, le règne de Notre-Seigneur, les États catholiques, la chrétienté tout entière.»12 Et à propos du père Le Floch, Mgr Lefebvre écrivait encore: «Je ne remercierai jamais assez le Bon Dieu d’avoir permis que je connaisse cet homme vraiment extraordinaire. C’est lui qui nous a appris ce qu’étaient les papes dans le monde et dans l’Église et ce qu’ils ont enseigné pendant un siècle et demi: l’antilibéralisme, l’antimodernisme, l’anticommunisme, toute la doctrine de l’Église sur ces sujets. Il nous a vraiment fait comprendre et vivre ce combat mené par les papes avec une absolue continuité pour tenter de préserver le monde et l’Église de ces fléaux qui nous oppressent aujourd’hui.»13 Ces témoignages montrent bien que le Séminaire français de Rome sous le rectorat du père Le Floch fut un foyer du futur Cœtus Internationalis Patrum. Ce que certains de ses anciens élèves défendirent au Concile ne fut rien d’autre que les principes qui leur avaient été donnés à Santa Chiara. La doctrine contrerévolutionnaire, antilibérale et antimoderniste qui leur fut inculquée à Rome eut sur eux une emprise qui détermina l’orientation de toute leur vie et qui se manifesta à Vatican II par leur opposition à ceux qui proposaient d’adapter l’Église au monde moderne. Si le Séminaire français explique indéniablement la naissance future du Cœtus, il ne faut pas négliger l’Université grégorienne, où l’abbé Berto fut reçu docteur en philosophie et en théologie, car c’est là que les étudiants du Séminaire français suivaient l’essentiel de leurs cours. Outre ces derniers, qui y étudiaient d’office, l’université des jésuites forma d’autres futurs membres du groupe, comme par exemple Mgr de Castro Mayer et Mgr de Proença Sigaud. La formation donnée à la Grégorienne, tout comme celle du Séminaire français de Rome, était une formation thomiste14 et antilibérale.15 11 12 13 14 15 Airiau, Le séminaire français (voir note 8). Marcel Lefebvre, Le Concile ou le triomphe du libéralisme, in: Fideliter, n° 59 (1987), 32. Lefebvre, Ibidem, 32. Dans une lettre datée du 8 décembre 1916 et adressée aux membres de sa Congrégation, Wladimir Ledóchowski, supérieur général de la Compagnie de Jésus, confirmait l’obligation de suivre l’enseignement de Thomas d’Aquin et il en fixait les limites. Cette lettre, intitulée «De doctrina S. Thomae magis magisque in Societate fovenda», avait été approuvée par Benoît XV. Roy-Lysencourt, Le Cœtus Internationalis Patrum (voir note 1), 157–167. L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II 299 Le 3 avril 1926, l’abbé Berto fut ordonné prêtre pour le diocèse de Vannes; la cérémonie eut lieu à Rome, dans la basilique Saint-Jean-de-Latran. Après son retour de la Ville Éternelle, il devint vicaire dans la paroisse de Noyal-Pontivy (Bretagne) de 1926 à 1928. En 1929, il commença à enseigner l’Écriture Sainte au Grand Séminaire de Vannes. Environ trois ans plus tard, en 1932, il fut nommé aumônier du Pensionnat des Ursulines de Vannes, charge qu’il garda jusqu’en 1942, tout en étant directeur du Tiers-Ordre dominicain à Vannes, directeur de l’enseignement religieux du diocèse et aumônier des Guides de France. À cette époque, son évêque le nomma également responsable de l’Œuvre de l’Adoption qu’il réforma en profondeur et dirigea jusqu’à sa mort. Cette œuvre était destinée à secourir les garçons orphelins ou en difficulté qui étaient confiés à des familles auxquelles une pension était versée. L’abbé Berto voulut cependant offrir aux enfants une véritable famille et dans ce but il fonda, en 1936, le Foyer Notre-Dame-de-Joie. En 1943, quelques jeunes tertiaires s’engagèrent à part entière pour le Foyer et devinrent les premières religieuses d’une communauté qui deviendra l’Institut des Dominicaines du Saint-Esprit. En 1946, Victor-Alain Berto fut l’un des quatre fondateurs de la revue La Pensée catholique,16 qui était caractérisée par une défense intégrale de la philosophie romaine et par un combat contre-révolutionnaire et antilibéral. Outre l’abbé Berto, elle fut fondée par les abbés Luc Lefèvre, qui prit la direction de la revue, Henri Lusseau, et Alphonse Roul. Ces clercs étaient tous des anciens du Séminaire français de Rome et les trois premiers soutinrent activement le Cœtus. Selon le témoignage de l’abbé Berto, la revue «est née et subsiste de la fidélité à l’esprit du Séminaire Français, tel qu’il était dans les années glorieuses du Père Le Floch.»17 D’autres anciens du Séminaire français et membres du groupe collaborèrent à la revue, parmi lesquels dom Nau et dom Frénaud.18 Le réseau des anciens du Séminaire français restés fidèles à la pensée du père Le Floch a donc joué un rôle fondamental dans la fondation et la rédaction de La Pensée catholique. Il faut ajouter qu’en 1951, sur la proposition de Mgr de Proença 16 17 18 Quelques travaux ont déjà été réalisés sur cette revue: G.-H. Baudry, Pensée Catholique (La), in: Catholicisme. Hier, aujourd’hui, demain, tome 10, Paris 1985, col. 1193–1194; Jean-Yves Camus/René Monzat, La Pensée catholique, in: Les droites nationales et radicales en France, Lyon 1992; Paul Airiau, La Pensée Catholique 1946–1956. Romanité à la française ou intégrisme? DEA d’Histoire du XXème siècle, Institut d’études politiques de Paris, 1995, 401 p., Paul Airiau, Les hommes de la Pensée catholique, in: Catholica, n° 60 (1998), 59–74. V.-A. Berto, Notre-Dame-de-Joie. Corr. de l’abbé V.A. Berto prêtre 1900–1968, p. 221. La Pensée catholique, n° 1 (1946), 2e de couverture; Georges Frénaud, Esprit et grâce sanctifiante, in: La Pensée catholique, n° 5 (1948), 25–46; Georges Frénaud, La gratuité des dons surnaturels et son opposition aux conclusions de la théologie nouvelle, in: La Pensée catholique, n° 6 (1948), 30–41; Paul Nau, Prière et Apostolat, in: La Pensée catholique, n° 3 (1947), 73–76; Paul Nau, L’autorité doctrinale des encycliques, in: La Pensée catholique, n° 15 (1950), 47–64; n° 16 (1950), 42–59; n° 19 (1951), 67–81. 300 Philippe Roy-Lysencourt Sigaud, fut fondée une association des «Amis de la Pensée Catholique».19 Par ailleurs, Mgr de Castro Mayer aimait cette revue;20 elle avait le soutien du cardinal Ottaviani; elle était lue par le cardinal Siri.21 La Pensée catholique peut donc être considérée comme appartenant à la préhistoire du Cœtus Internationalis Patrum: pour certains, elle fut comme un lien entre les études à Rome (au Séminaire français et à la Grégorienne) et le Cœtus. De plus, par son intermédiaire, des personnes qui se trouvèrent plus tard au sein de ce groupe s’y connurent.22 Concernant l’abbé Berto, il faut mentionner qu’il participa discrètement au sauvetage de la Mission de France entre 1952 et 1954.23 Cela montre que s’il fut un catholique intransigeant, il fut aussi un catholique intégral – selon les catégories conceptualisées par Émile Poulat24 – et qu’il serait faux de le classer parmi les catholiques «fermés». Intransigeant et ferme sur la doctrine, romain jusqu’à la moelle, foncièrement fraternel et charitable, ouvert à tout ce qui peut se faire pour la christianisation de la société: tel fut l’abbé Berto qu’il ne faudrait pas enfermer dans une catégorie. Opinion de l’abbé Berto sur le Concile: Lorsque le Concile fut convoqué, l’abbé Berto porta un regard plutôt négatif sur la tenue d’un tel événement. Et puis, à peine était-il ouvert qu’il craignit les conclusions qui en émaneraient. Le 15 octobre 1962, dans une lettre à son ami Raymond Dulac, avec lequel il entretenait des liens particuliers d’amitié et de confiance,25 il écrivit: «Humainement, tout est à craindre de la faiblesse du pape.»26 Dans ce courrier il regretta également l’absence d’un Louis Veuillot et de son journal L’Univers, comme pour le premier concile du Vatican. Estimant que «tout sera[it] exploité à fond contre le Saint-Siège», il notait: «Si celui-ci prête le flanc, on n’a pas fini d’en voir!»27 Deux semaines plus tard, le 1er novembre 1962, il écrivit à Raymond Dulac: «Je n’ai jamais [...] été chaud pour le Concile. Je crois que la folie [...] de l’avoir réuni est en train d’apparaître à ne laisser personne en doute.» S’il ne souhaitait pas que le Concile fût un échec, «à cause de l’honneur de l’Église», il 19 20 21 22 23 24 25 26 27 Le Comité, Les amis de la Pensée Catholique, in: La Pensée catholique, n° 74 (1961), 88. La Pensée catholique, n° 22 (1952), 5, lettre d’Antonio de Castro Mayer à l’abbé Luc J. Lefèvre, Campos, 19 mars 1952. La Pensée catholique, n° 225 (1986), p. 8, lettre du cardinal Giuseppe Siri à Luc J. Lefèvre, Gênes, 26 septembre 1986. Roy-Lysencourt, Le Cœtus Internationalis Patrum (voir note 1), 192–219. À ce sujet, voir Scriff, L’abbé Berto (voir note 6). Voir notamment Émile Poulat, Église contre bourgeoisie. Introduction au devenir du catholicisme actuel, Tournai 1977, 291 p. ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé V.-A. Berto à l’abbé Raymond Dulac, 1er novembre 1962. «[...] il n’y a qu’avec vous que je puisse vider le fond de mon sac avec la sécurité d’être compris au quart ou au centième de mot.» Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à l’abbé Raymond Dulac, 15 octobre 1962. Ibidem. L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II 301 estimait néanmoins que la réunion de deux mille trois cents évêques était «extravagante». Il ne pensait d’ailleurs pas qu’il pouvait en sortir grand-chose: «Il faut que cette montagne de violet accouche au moins d’une souris, et autant que possible pas trop difforme, et avec des douleurs pas trop fracassantes. La bonne presse se chargera bien de faire passer la souris pour un éléphant.»28 Au fur et à mesure que le Concile avançait, il se faisait plus sévère. Ainsi, le 4 décembre 1962, il confessait à l’abbé Dulac: «Je suis atterré de la médiocrité, de la pauvreté, de la platitude de ce Concile. Et c’est cette tourbe mitrée qui prétend substituer ses ignorances, ses myopies, ses passions, à la mansuétude, à l’expérience, à la finesse, à la maternité et à l’intelligence des Congrégations romaines! Ils sont encore plus insuffisants (quoique ridiculement ‹suffisants›) pris ensemble que pris un à un.»29 Pour l’abbé Berto, le Concile ne pouvait pas continuer dans la voie qu’il avait empruntée durant la première session, car il lui semblait inconcevable que l’Église puisse changer, impensable que des changements significatifs soient apportés, invraisemblable que les théologiens vilipendés hier se retrouvent sur le devant de la scène: «[...] être à Rome et trembler devant Congar, je n’aurais jamais cru que je verrais ça!», écrivait-il à l’abbé Dulac en février 1963.30 Pour lui, la première session était ratée. Voici les impressions qu’il donna au même correspondant après la clôture de la session: «Maintenant, comment éviter l’impression d’un ‹bluff› gigantesque, après avoir tant dit, et le pape lui-même, qu’on allait s’occuper des ‹hommes de ce temps?› [...] Et en fait, ce qui saisit, c’est la médiocrité ‹humaine› de l’épiscopat d’aujourd’hui. Non seulement Mgr Dupanloup passerait aujourd’hui pour un ‹intégriste›; mais, ce qui est encore plus vexant, il passerait pour un génie.»31 L’abbé Berto n’en pensait pas moins des schémas de substitution préparés pendant la première intersession. Son jugement était sans ambages, comme en témoigne une lettre qu’il écrivit au chanoine Madec le 19 novembre 1963: «À parler sans détour, ces textes ne me plaisent pas. Je les trouve ternes, médiocres, mous, imprécis. Je leur reproche surtout de ne faire faire aucun progrès ni dogmatique ni théologique à la pensée de l’Église; ils ne constituent pas même cet ‹aggiornamento› dont on nous a tant rebattu les oreilles. S’ils sont adoptés tels quels, il faudra dire que la montagne a accouché d’une souris, et encore difforme.»32 28 29 30 31 32 Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à l’abbé Raymond Dulac, 1er novembre 1962. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à l’abbé Raymond Dulac, 4 décembre 1962. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à l’abbé Raymond Dulac, 25 février 1963. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à l’abbé Raymond Dulac, 17 décembre 1962. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto au chanoine Madec, 19 septembre 1963. 302 Philippe Roy-Lysencourt Selon l’abbé Berto, «les schémas tournent en rond, s’évertuent à concilier des contradictoires, ne décident rien», et cela parce que, n’étant pas scolastiques, ils tombaient dans «l’amplification oratoire», et parce qu’ils étaient restrictifs par rapport aux documents antérieurs.33 Voilà la pensée de l’homme que Mgr Lefebvre alla chercher durant la première intersession pour en faire son peritus au grand dam de certains, comme par exemple Mgr Bernard, membre de sa Congrégation, qui écrivit dans son journal: «Quelle effroyable provocation, et pour le clergé français, et pour les spiritains.»34 Il ne s’agissait pas d’une provocation délibérée. Seulement, Mgr Lefebvre et l’abbé Berto étaient amis depuis leur séjour commun au Séminaire français de Rome, ils avaient gardé des contacts épistolaires35 et étaient en communion de pensée. De plus, ils s’étaient rencontrés à Rome en octobre 1962,36 à l’aube du Concile, alors que l’abbé Berto était de passage dans cette ville pour présenter un de ses protégés au recteur du Séminaire français de Rome;37 à cette occasion, il avait eu un long entretien avec le supérieur général des Spiritains.38 Plus tard, lorsque Mgr Lefebvre décida de former un groupe organisé pour combattre l’orientation qui se dessinait au Concile, il s’assura non seulement le concours des bénédictins de Solesmes, avec lesquels il travailla sur les schémas qui avaient été envoyés aux Pères conciliaires pendant la première intersession, mais aussi celui de l’abbé Berto. Ce fut lors d’un passage dans le Morbihan, vraisemblablement entre le 19 et le 22 septembre 1963,39 que Mgr Lefebvre proposa à son ancien confrère du Séminaire français de devenir son peritus au Concile. 33 34 35 36 37 38 39 Ibidem. Journal de Mgr Michel Bernard, 27 septembre 1963, cité dans Christian Sorrel, Le concile d’un évêque missionnaire. Mgr Michel Bernard, archevêque de Brazzaville, à Vatican II, in: Oissila Saaidia/Laurick Zerbini (éd.), L’Afrique et la mission. Terrains anciens, questions nouvelles avec Claude Prudhomme, Paris 2015, 119. Les archives des Dominicaines du Saint-Esprit contiennent la copie d’une lettre que l’abbé Berto envoya à Mgr Lefebvre le 7 mai 1953 à propos de la succession du père Monnier à la tête du Séminaire français de Rome. Le ton de la lettre laisse croire qu’elle n’a pas été écrite après plusieurs années de silence et que les deux anciens de Santa Chiara ont probablement gardé une correspondance plus ou moins régulière après leurs études romaines. Les archives du Séminaire d’Écône contiennent quant à elles deux lettres de l’abbé Berto à Mgr Lefebvre avant le Concile. ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé V.A. Berto à un prêtre (JL), Rome, 5 octobre 1962: «Par piété envers l’Église, je resterai ici [à Rome] pour l’ouverture du Concile, je ne serai qu’une goutte d’eau, mais l’océan est fait de gouttes d’eau, et je quitterai Rome le lendemain.» Témoignage de Mère Marie-Claire Robineau à l’auteur. ADSE, Fonds V.-A. Berto, lettre de V.-A. Berto à Raymond Dulac, 15 octobre 1962. Les archives ne permettent pas de déterminer la date exacte à laquelle Mgr Lefebvre demanda à l’abbé Berto de venir l’aider à Rome. Dans la petite biographie de l’abbé V.-A. Berto qui se trouve dans le livre Notre-Dame-de-Joie, Correspondance de l’abbé V.A. Berto prêtre 1900/1968, 41, il est question d’un entretien au mois d’août, sans date exacte, à l’issue duquel Mgr Lefebvre aurait demandé à l’abbé Berto de devenir son théologien. L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II 303 La participation conciliaire de l’abbé Berto L’abbé Berto arriva à Rome pour la deuxième session du Concile le 26 septembre 1963.40 Mgr Lefebvre aurait voulu le faire nommer peritus publicus, mais le 30 septembre, lors de la première Congrégation générale de cette session, il fut annoncé aux Pères conciliaires qu’il y en avait suffisamment et qu’on n’en nommerait pas de nouveaux.41 Il ne fut donc que peritus privatus, ce qui lui était bien égal.42 Dans cette partie, il sera question du travail et de l’emploi du temps de l’abbé Berto auprès de Mgr Lefebvre et du Cœtus Internationalis Patrum pendant les deuxième et troisième sessions du Concile. Son travail et son emploi du temps pendant la deuxième session: Le 29 septembre 1963, premier jour de la deuxième session du Concile, l’abbé Berto alla dans la basilique Saint-Pierre écouter l’allocution inaugurale de Paul VI.43 Ce jour-là, dans une lettre aux Dominicaines du Saint-Esprit, il expliqua son travail à l’aube de la session: «Mgr Lefebvre, qui m’avait emmené, m’a ramené, et de tout l’après-midi nous ne nous sommes pas quittés, car la première Congrégation générale se tient dès demain matin. Des centaines d’amendements aux schémas ont été proposés dans l’entre-session; lesquels appuyer, lesquels combattre, quels autres introduire éventuellement, c’est un travail de le déterminer.»44 Trois jours plus tard, le mercredi 2 octobre 1963, une quinzaine de futurs membres du Cœtus Internationalis Patrum se réunirent en assemblée à la maison généralice de la Société du Verbe Divin, sur l’invitation de Mgr Lefebvre et de Mgr de Proença Sigaud.45 Lors de cette réunion, la présidence d’un groupe qui ne se donna encore aucun nom fut unanimement confiée au supérieur général des Spiritains.46 L’abbé Berto, en tant que peritus de Mgr Lefebvre, fut donc appelé à apporter son aide à d’autres Pères conciliaires. 40 41 42 43 44 45 46 Cependant, une lettre de l’abbé Berto au chanoine Madec, datée du 19 septembre 1963, laisse croire que cette proposition fut plus tardive. L’abbé Berto écrivit en effet: «[...] pendant les quatre jours que j’ai mis à vous écrire, il est advenu que Mgr Lefebvre, supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit, m’a demandé à Monseigneur pour être son théologien» (ADSE, Fonds V.-A. Berto). ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé V.A. Berto à la communauté des Dominicaines du Saint-Esprit, Rome, 26 septembre 1963. Acta Synodalia Sacrosancti Concilii Œcumenici Vaticani II (AS), II, I, 205–213. ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé V.A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (B.), Rome, 2 octobre 1963. Ibidem, lettre de V.-A. Berto aux Dominicaines du Saint-Esprit, le 29 septembre 1963. Ibidem. Archives de l’Abbaye Saint-Pierre de Solesmes (AASPS), Agenda de dom Prou, mercredi 2 octobre 1963; ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (B), Rome, 2 octobre 1963. ADSE, Fonds V.-A. Berto, Procès verbal de l’assemblée du jeudi 3 octobre à 17h00 (il y a probablement ici une erreur de date). 304 Philippe Roy-Lysencourt Au début de la session, il passait une bonne partie de son temps à travailler avec Mgr Lefebvre, avec dom Frénaud,47 ou avec d’autres théologiens dont il ne donnait pas les noms: «L’après-midi, je suis à peu près continuellement ou en conférence avec Mgr Lefebvre, ou en rencontres avec d’autres periti.»48 Outre les réunions de travail «avec un groupe d’évêques ou un autre»,49 l’abbé Berto rédigeait des notes, qu’il devait ensuite communiquer à l’un ou l’autre Père conciliaire. Le 5 octobre, il écrivit à une Dominicaine: «Du travail, je ne peux rien vous dire, sinon que je suis presque autant dans les ‹bus› qu’à mon bureau. Une note prête, il faut la porter ici ou là; je vois des kilomètres de rues, et rien d’autre.»50 Ce jour-là, il confia également à une autre: «Cet après-midi, je souffle. Hier et avant-hier, c’était harassant. Car ce n’est que partie du travail de rédiger une note ou une autre; il faut encore la communiquer ici et là aux groupes d’évêques, et toujours à la course dans ces affreux ‹bus› romains toujours bondés.»51 Dans la première moitié du mois d’octobre, l’abbé Berto travailla notamment à la rédaction d’un projet pour faire modifier certains articles du règlement conciliaire, lequel fut donné à Paul VI qui le fit transmettre au cardinal Tisserant pour qu’il soit examiné par la Présidence du Concile.52 Il n’y eut aucune suite. Entre le 8 et le 10 octobre, l’abbé Berto travailla sur trois projets en lien avec le schéma De Ecclesia et dont les titres sont les suivants: «Responsum ad quemdam libellum anonymum», «Adnotatio de indole laica societatis civilis» et «Animadversiones in schemata».53 Pendant le mois d’octobre, il travailla également à un court texte sur l’Église comme épouse du Christ,54 à un autre concernant le 47 48 49 50 51 52 53 54 ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé V.A. Berto aux Dominicaines du Saint-Esprit, Rome, 29 septembre 1963. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (B), Rome, 2 octobre 1963. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (J), Rome, 5 octobre 1963. Ibidem. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (D), Rome, 5 octobre 1963. ADSE, Fonds V.-A. Berto, «Colloquium primum», procès verbal de la réunion du 6 octobre 1963; «Colloquium alterum», procès verbal de la réunion du mardi 8 octobre 1963; «Colloquium tertium», procès verbal de la réunion du jeudi 10 octobre 1963; «Colloquium quartum», procès verbal de la réunion du samedi 12 octobre à la maison généralice de la Congrégation du Très Saint Sauveur; lettre de l’abbé V.-A. Berto à M.P., Rome, 13 novembre 1963; ASE, Fonds Marcel Lefebvre, E02-10, lettre de Mgr Pericle Felici à Mgr Marcel Lefebvre, État du Vatican, 11 novembre 1963. Ces trois projets se trouvent dans le dossier sur Le deuxième Concile du Vatican des ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican». «Brevis elucubratio de Ecclesia ut est sponsa Christi». Ce texte se trouve dans le livre Pour la Sainte Église Romaine, 362–369. L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II 305 caractère laïc de la société civile,55 ainsi qu’à quelques remarques à propos du schéma sur la Vierge Marie.56 L’abbé Berto travaillait donc constamment et à un rythme soutenu. Par exemple, sa correspondance entre le 17 et le 19 octobre laisse mesurer sa cadence de travail sur quelques jours. Ainsi, le 17 octobre, il avait rendez-vous avec Mgr de Castro Mayer, évêque de Campos (Brésil), pour travailler sur le chapitre III du De Ecclesia. Le lendemain, 18 octobre, il voyait Mgr Carli,57 évêque de Segni, membre de la Commission des évêques et du gouvernement des diocèses et l’un des animateurs du Cœtus. Le 19, il aidait un évêque du Brésil: «Je croyais avoir un dimanche demain, je ne l’aurai pas. Un évêque brésilien vient de me téléphoner qu’il viendra ici travailler avec moi.»58 Ces quelques exemples montrent l’ampleur de la tâche et du rôle de l’abbé Berto. D’ailleurs, il révélait à cette correspondante: «En trois semaines, j’ai écrit plus de cent pages de latin!»59 Quelques jours plus tard, le 25 octobre, il confiait à une religieuse qu’après avoir passé sa matinée sur un elenchus d’intervention de Mgr Lefebvre, il était allé à pied jusqu’au Séminaire français et que c’était sa première promenade depuis un mois.60 Vers la fin du mois d’octobre, le théologien de Mgr Lefebvre était non seulement submergé de travail, mais accablé, comme en témoigne une lettre à une religieuse le 19: «Je ne viens pas à bout de mon travail. Jusqu’ici c’est du travail inutile. Tout piétine, tout s’embourbe. Cependant, je crois que les choses vont aller mieux, les romains se ressaisissent, et le Concile est encore moins content des nouveaux schémas (d’ailleurs exécrables) que de ceux qui ont été si légèrement écartés à la première session.»61 À partir du 21 octobre et jusqu’au vote du 29, l’abbé Berto travailla sur le De Beata Maria Virgine: «Depuis huit jours je travaille au schéma sur la Sainte Vierge, que d’aucuns voudraient résorber dans le schéma sur l’Église [...].»62 55 56 57 58 59 60 61 62 «Adnotationes de ‹indole laica› societatis civilis». Ce texte se trouve dans le livre Pour la Sainte Église Romaine, 370–380. «Animadversiones circa Constitutionem de Beata Maria Virgine». Ce texte se trouve dans le livre Pour la Sainte Église Romaine, 427–434. ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé V.A. Berto à un prêtre (MB), Rome, 17 octobre 1963. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (T), Rome, 19 octobre 1963. Ibidem. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (D), Rome, 25 octobre 1963. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (Cl), Rome, 19 octobre 1963. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (R), Rome, 29 octobre 1963. 306 Philippe Roy-Lysencourt Les résultats du suffrage furent pour lui une véritable souffrance: «Depuis deux jours, je n’ai pas été seul un quart d’heure sans pleurer à sanglots», écrivait-il à ses religieuses le 31 octobre. Dans la même lettre, il évoquait «des habiletés, des intrigues, des astuces» dont il disait ne pas savoir grand-chose, mais que ce qu’il en savait était «trop triste».63 Au début du mois de novembre, l’abbé Berto travailla à un projet d’intervention sur les conférences épiscopales nationales64 ainsi qu’à des remarques sur le chapitre IV du De Ecclesia.65 Il était toujours débordé: «Il y a de plus en plus de travail, et le travail est de plus en plus urgent.»66 À partir du 5 novembre, le groupe acquit un appareil à polycopier: «Rien à vous dire des choses d’ici, sinon que nous avons enfin (nous ‹periti›) une machine à ronéotyper, qui permettra à nos notes d’atteindre un plus grand nombre de Pères. J’en ai cinq ou six en manuscrit qu’il va falloir revoir, renforcer… et surtout resserrer.»67 En ce début de novembre, le travail des théologiens du groupe consistait à «rédiger des notes, les dactylographier, les ronéotyper, recommencer d’autres notes…»,68 de façon à pouvoir les distribuer: «Il faut que les ‹periti› travaillent, travaillent, travaillent pour en atteindre le plus grand nombre possible.»69 La machine à ronéotyper n’allégea donc pas la charge des théologiens. À une religieuse, il écrivait, toujours le 6 novembre: «Je vous écris à l’aveuglette, ne sachant plus où j’en suis avec vous ni avec personne, dans le tourbillon de travail, car c’est un tourbillon. J’ai cinq ou six notes rédigées et prêtes pour la ronéo, j’en ai quatorze ou quinze à faire, et il les faudrait toutes à la fois. On n’en peut venir à bout. Les adversaires saisissent leur opportunité et mènent le Concile, brusquement, à un train forcé, qu’on suit comme on peut.»70 Dans la seconde moitié du mois de novembre, l’abbé Berto travailla sur plusieurs projets en lien avec le schéma De Œcumenismo dont les Pères avaient commencé l’étude le lundi 18 novembre. Le travail lui semblait de plus en plus pénible. Le lendemain, il écrivait à une religieuse: «Le travail ici ne cesse pas d’être lourd, il le devient même de plus en plus. On a mis hier en discussion le schéma ‹De Œcumenismo›. Il est encore plus irréel, en63 64 65 66 67 68 69 70 Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto aux Dominicaines du Saint-Esprit, Rome, 31 octobre 1963. Ce projet d’intervention est reproduit dans le livre Pour la Sainte Église Romaine, p. 329– 336. ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», «Animadversiones in animadversiones», travail fait vers le 8 novembre. ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé V.A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (P), Rome, 6 novembre 1963. Ibidem, (D), Rome, 6 novembre 1963. Ibidem, (P), Rome, 6 novembre 1963. Ibidem, (Jn), Rome, 6 novembre 1963. Ibidem, (A), Rome, 6 novembre 1963. L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II 307 core plus indigne d’un Concile œcuménique que les précédents. Ce qu’on peut espérer de mieux, c’est que cette session s’achève sans qu’aucune décision définitive ait été prise en aucune matière.»71 Vers cette date, les archives de Pontcalec mentionnent qu’il écrivit un projet d’intervention sur la dignité de la personne humaine.72 Il rédigea également un texte sur l’opération de l’Esprit-Saint dans les communautés acatholiques,73 un autre sur le chapitre V du De Œcumenismo, un sur la liberté religieuse,74 ainsi que deux projets d’intervention sur le schéma De Œcumenismo,75 dont il proposait le rejet.76 Quelques jours plus tard, le 27 novembre, il travailla à un texte sur «la fausse notion de liberté religieuse»77 et à un autre sur l’unité de l’Église.78 Le 5 janvier 1964, dans une lettre à Jean Madiran, fondateur et directeur de la revue Itinéraires, il résuma son travail pendant la deuxième session: «[...] bien qu’en droit je ne dusse mes services qu’à Mgr Lefebvre, je me suis trouvé dans l’heureuse obligation d’avoir à travailler aussi pour le très petit nombre de Pères qui s’étaient rassemblés autour de lui, à leur fournir notes, mémoires, canevas d’interventions ‹in Aula›, à prendre part à leurs réunions d’études. Ç’a été un labeur sans trève, mais je n’en ai pas senti le poids; je travaillais pour la Sainte Vierge et pour le Pontife Romain, mes deux amours, et ‹ubi amatur, aut non laboratur, aut ipse labor amatur›.»79 Durant l’intersession qui suivit, l’abbé Berto ne chôma pas. Il fut en correspondance constante avec Mgr Lefebvre. Il se rendit également à Solesmes pour travailler, avec d’autres membres et théologiens du Cœtus, à l’élaboration d’un résumé détaillé d’un schéma de remplacement sur l’Église (De Ecclesia Christi).80 Il se rendit au moins une autre fois à Solesmes pour œuvrer à la compo71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 Ibidem, (A), Rome, 19 novembre 1963. ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», «De dignitate personae humanae». «De operatione Spiritus sancti in communitatibus acatholicis». Ce texte se trouve dans le livre Pour la Sainte Église Romaine, 420–426. «In caput V schematis de oecumenismo (de libertate religiosa) adnotationes». Ce texte se trouve dans le livre Pour la Sainte Église Romaine, 389–396. «De œcumenismo». Ce texte se trouve dans le livre Pour la Sainte Église Romaine, 408–413; voir également: ASE, Fonds Marcel Lefebvre, E-02-10, 005; ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», «Projet d’intervention sur l’œcuménisme». ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé V.A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (D), Rome, 19 novembre 1963. «De falsa notione libertatis religiosae». Ce texte se trouve dans le livre Pour la Sainte Église Romaine, 397–407. «De unitate Ecclesiae quam vivificat Spiritus Sanctus». Ce texte se trouve dans le livre Pour la Sainte Église Romaine, 414–419. Ibidem. AS III, I, 621–628; ASE, Fonds Marcel Lefebvre, E02-09A, 002; Nicla Buonasorte, Per la «pura, piena, integra fede cattolica»: il p. Victor Alain Berto al concilio Vatican II, in: 308 Philippe Roy-Lysencourt sition d’un postulatum au pape – dont il semble qu’il ait eu l’idée – dans lequel il était demandé que Marie soit proclamée Mère de l’Église, que Vatican II soit le strict prolongement de Vatican I, et qu’il soit déclaré que la primauté de Pierre lui a été confiée sans la médiation du Collège des Apôtres.81 Il travailla sur ces documents à partir de chez lui de même qu’à l’étude des schémas. Pour l’abbé Berto, tous les événements qu’il voyait au Concile démontraient l’existence d’un complot moderniste et révolutionnaire visant à changer substantiellement la doctrine catholique. Selon lui, l’aggiornamento en était le prétexte, comme il l’écrivit à Mgr Carli: «Le projet se fait chaque jour plus manifeste. Il ne s’agit plus désormais de doctrine, de justice, de tradition catholique. Il s’agit d’introduire, d’imposer, sous prétexte d’‹aggiornamento› un changement substantiel du catholicisme, et puisque celui-ci ne peut se faire ‹per arma lucis›, on cherche à le faire par des moyens violents, aujourd’hui la clameur, demain le silence, aujourd’hui la précipitation, demain la lenteur, aujourd’hui le secret, demain la confusion, tout cela calculé pour le triomphe de l’erreur.»82 Son travail et son emploi du temps pendant la troisième session: Mgr Lefebvre voulait arriver à Rome avant l’ouverture de la troisième session de façon à pouvoir organiser le travail.83 Il partit donc pour la Ville Éternelle avec son peritus le samedi 5 septembre, en voiture, de façon à faciliter les déplacements romains pendant la session, comme l’écrivit l’abbé Berto à un correspondant: «Le 5 au matin départ pour Rome en voiture […] ainsi aurons-nous à Rome ‹notre› voiture. Tu sais combien j’ai souffert l’an passé et combien j’ai perdu de temps n’ayant que les ‹bus›, mes jambes ou des taxis trop onéreux.»84 Pendant cette session, ils logèrent à la Maison généralice de la Congrégation du Saint Esprit.85 81 82 83 84 85 Cristianesimo nella Storia 22 (2001), 111–151, 129–130, lettre de V.-A. Berto à Mgr Luigi Carli, Notre-Dame-de-Joie, 10 février 1964; ASE, Fonds Marcel Lefebvre, E02-09A, 001, lettre de Mgr Marcel Lefebvre à Mgr Pericle Felici, Paris, 8 février 1964; ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican». ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de V.-A. Berto à dom Jean Prou, 1er juillet 1964; Buonasorte, Alain Berto (voir note 89), 133–134, lettre de V.-A. Berto à Mgr Luigi Carli, Pontcalec, 13 mars 1964; Buonasorte, Alain Berto (voir note 89), 134–136, lettre de V.-A. Berto à Mgr Luigi Carli, Pontcalec, le 21 avril 1964; ASE, Fonds Marcel Lefebvre, E02-10, Supplique à Paul VI de Mgr Lefebvre, Mgr Xavier Morilleau et dom Jean Prou, juillet 1964; AASPS, Carton dom Jean ProuVatican II, dossier n° 17; ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican»; Archivio Segreto Vaticano (ASV), Fonds Concile Vatican II, Carton 102, 6; AS III, I, p. 679–680; AS III, I, p. 775–776. Buonasorte, Alain Berto (voir note 89), 137, lettre de V.-A. Berto à Mgr Luigi Carli, Pontcalec, 5 août 1964. ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé V.A. Berto à C.M., 26 août 1964. Ibidem. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à C.M., 12 septembre 1964. L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II 309 Arrivés à Rome, le supérieur général des Spiritains et son peritus tâchèrent de mobiliser les «Romains» et d’organiser le travail. Le 10 septembre, l’abbé Berto pouvait écrire: «Je prévois que cette session-ci sera au moins aussi chargée de besogne. Je prévois aussi, heureusement, que le travail sera mieux organisé, mieux ordonné, mieux partagé, plus efficace. Ce sera une souffrance de moins – il restera assez de quoi souffrir.»86 À un autre correspondant, il faisait ces confidences: «Les chances sont pour que j’aie moins à écrire que l’an dernier, mais beaucoup à courir. Le temps des discussions est passé. Il faut former l’agmen des romains. Visites, visites, visites. Et on en manque, qu’il faut refaire. [...] On s’organise et, je crois, on sera organisé à temps.»87 À la veille de l’ouverture de la session, Mgr Lefebvre et l’abbé Berto enchaînèrent les visites. Le mercredi 9 septembre, ils allèrent voir le cardinal Browne.88 Ce jour-là, ils avaient également prévu de voir le cardinal Siri, mais les archives ne révèlent pas s’ils purent faire cette visite.89 Ils avaient envisagé de visiter aussi le père Rubio, général des Augustins, dans les locaux desquels ils devaient tenir leurs réunions pendant la troisième session, comme c’était le cas l’année précédente.90 Ils ne purent cependant le voir ce jour-là.91 Le lendemain matin, jeudi 10 septembre, l’abbé Berto vit Mgr Staffa, secrétaire de la Congrégation des Séminaires, et Mgr Pozzi, son collaborateur.92 Le vendredi 11 septembre, Mgr Lefebvre et son peritus allèrent chez l’évêque de Segni, comme l’écrivit l’abbé Berto le lendemain: «Nous sommes donc allés hier après-midi, Mgr Lefebvre et moi, faire visite à Mgr Carli dans son petit évêché de Segni, à 60 km S.E. de Rome, dans les Monts Albains, 660 m d’altitude. Longue conversation de près de deux heures. Entier accord de doctrine et de ‹tactique›, si l’on peut dire, car ‹tacticiens› nous ne le sommes guère et ne voulons pas l’être.»93 Les visites pour organiser la session se multiplièrent. Le lendemain matin, pendant que l’abbé Berto voyait Mgr Pozzi et Mgr Lattanzi, tous les deux professeurs au Latran, Mgr Lefebvre rendait visite au cardinal Larraona,94 président de la Commission liturgique et sympathisant du CIP. Visite après visite, le président du Cœtus et son théologien tâchaient de mobiliser les «traditio- 86 87 88 89 90 91 92 93 94 Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à F.M., 10 septembre 1964. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à B., 10 septembre 1964. Ibidem. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto aux Dominicaines du Saint-Esprit, Rome, 8 septembre 1964. Ibidem. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à B., 10 septembre 1964. Ibidem. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto aux Dominicaines du Saint-Esprit, Rome, 12 septembre 1964. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à C.M., 12 septembre 1964. 310 Philippe Roy-Lysencourt nalistes», de former un «bloc» romain, ainsi que l’écrivait l’abbé Berto à un correspondant le 12 septembre: «En six jours j’ai vu plus de personnes considérables que l’an dernier en toute la session. Or on est encore un peu trop à lever les bras au ciel, à s’indigner, ou à gémir. Néanmoins on se sent au pied du mur (ou au bord de l’abîme) et moyennant beaucoup de paroles j’ai bon espoir que se forme, dès le début de la session, l’unité du ‹bloc› romain.»95 Le lendemain, c’est-à-dire la veille de l’ouverture de la troisième session, l’abbé Berto rencontra Mgr de Proença Sigaud, puis Mgr de Castro Mayer, avant de déjeuner au Corso d’Italia, là où il logeait avec Mgr Lefebvre l’année précédente.96 Ce jour-là, il écrivit à un correspondant: «Je n’ai point vu l’an passé, hélas, cette volonté ‹romaine› de barrer la route au progressisme, ou pour mieux dire, au modernisme. Cette fois je crois que l’on s’est enfin aperçu de la gravité du danger. Je suis plein d’espoir, c’est tout ce que j’ai le droit de vous dire pour le moment.»97 Le lendemain, jour de l’ouverture officielle de la troisième session, il écrivait à une de ses Dominicaines: «Il y a certainement chez les ‹romains› une perception beaucoup plus vive que l’an passé du caractère hétérodoxe des doctrines qu’on veut faire prévaloir, et du caractère violent des procédés qu’on emploie à cet effet. Le ‹bloc› des orthodoxes sera celui des honnêtes gens, et réciproquement. De parvenir à constituer ce ‹bloc›, c’est la grande affaire. Je pense qu’on en viendra à bout.»98 Dès le début de la troisième session, le Cœtus reprit les activités qu’il avait développées durant la deuxième session, notamment les conférences du mardi soir.99 En plus de celles-ci, le groupe mit sur pied un secrétariat près de la Place Saint-Pierre dans le but, selon l’abbé Berto, d’«être à la disposition des Pères qui voudraient des renseignements, des exemplaires de nos notes et mémoires».100 La permanence de ce secrétariat fut tenue principalement par le peritus de Mgr Lefebvre.101 Les archives ne permettent pas d’en connaître la fréquentation, mais il ne semble pas avoir connu une grande affluence, en tout cas en ses débuts. Le 28 septembre, l’abbé Berto écrivait en effet: «Le plus souvent 95 96 97 98 99 100 101 Ibidem. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à M., 13 septembre 1964. Ibidem. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (Jn), Rome, 14 septembre 1964. Archives de l’Archidiocèse de Diamantina (AAD), Journal de Mgr Geraldo de Proença Sigaud. ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé V.A. Berto à M., 23 septembre 1964, lettre de l’abbé V.-A. Berto à A., 23 septembre 1964. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à A., 23 septembre 1964. L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II 311 j’y suis seul [à la permanence], mais à ce jour il n’y a pas un Père sur dix qui sache qu’elle existe.»102 Plus tard, il y eut peut-être un peu plus de visites. En effet, le 9 novembre, l’abbé Berto écrivait à ses religieuses: «Il vient bien du monde ici.»103 Cependant, quatre jours après il leur confiait: «Je ferme mon secrétariat (18h45) pour regagner le boulevard Tite-Live. Personne ne s’est présenté. Et en vérité, à quoi bon? On est dans le morne, dans le plat, dans l’inerte, dans le flou, dans l’indéfini. Voilà à quoi on a réduit l’heureuse Rome.»104 Finalement, le secrétariat du Cœtus n’a pas dû avoir beaucoup de succès, tout comme les réunions-conférences du mardi soir. Selon l’abbé Berto, la fabrication et la distribution de modi étaient la seule façon d’avoir une certaine efficacité. Évoquant les modi, il écrivit: «C’est le seul moyen efficace (les réunions du mardi ne ‹prennent pas›) pour atteindre un nombre considérable de Pères.»105 Pendant la troisième session, le Cœtus s’adapta donc à la réalité de cette session durant laquelle les votes furent très nombreux et se succédèrent de façon ininterrompue. Dans ces conditions, pour avoir quelque influence sur les scrutins et faire modifier un texte, l’unique moyen réaliste était de convaincre un maximum de Pères de voter placet iuxta modum et de leur fournir des modi tout prêts. C’est ce que fit le Cœtus. Les modi étaient préparés chez le cardinal Larraona qui avait mis son matériel de polycopie à la disposition du groupe, de même que ses deux secrétaires.106 À partir de la fin du mois de septembre, l’abbé Berto passait une bonne partie de ses journées chez le cardinal Larraona, chez qui les membres du Cœtus se rencontraient pour travailler. Le 25, le peritus de Mgr Lefebvre écrivait: «Je descends aujourd’hui travailler chez le cardinal Larraona, qui m’a pris en amitié.»107 Le lendemain, il écrivait à un autre correspondant: «Mon petit bout de rôle est si différent de celui que j’avais l’an passé! C’est à peine si je suis ici deux heures de suite. Hier j’ai été de 9h30 à 1h et de 6h30 à 8h15 chez le cardinal Larraona, avec Mgr Staffa [...] et deux ‹periti›, préparant des ‹emendationes› pour le schéma De Ecclesia.»108 Sa correspondance montre qu’il y fut également le lendemain, ainsi que les 3, 4, 5, 12, 13 et 18 octobre,109 qui ne sont que quelques dates que révèlent son 102 103 104 105 106 107 108 109 Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à T., 28 septembre 1964. Ibidem, lettre de V.-A. Berto aux Dominicaines du Saint-Esprit (St-Pie X), 9 novembre 1964. Ibidem, lettre de V.-A. Berto aux Dominicaines du Saint-Esprit, 13 novembre 1964. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à D., 12 octobre 1964. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à J.L., 12 octobre 1964. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à C.M., 26 septembre 1964. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à B., 25 septembre 1964. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à M.P., 26 septembre 1964; à D., 3 octobre 1964; à M., 5 octobre 1964; à J.L., 12 octobre 1964; aux Dominicaines du Saint-Esprit, 18 octobre 1964. 312 Philippe Roy-Lysencourt courrier, car il semble qu’il y passait la plupart de ses journées. En effet, le 5 octobre, il écrivit: «Je suis à longueur de jour chez le cardinal Larraona. On travaille sans aucun espoir, par devoir.»110 Quelques semaines plus tard, évoquant le travail chez le cardinal Larraona, il écrivait: «Cela continue, j’en arrive et j’y retourne.»111 Occasionnellement, l’abbé Berto participa à la diffusion des modi. Le 5 novembre, il confiait à ses Dominicaines: «L’un des secrétaires du cardinal Larraona étant malade, il faut que je fasse ma partie de la distribution des ‹modi› pour un vote qui a lieu demain. J’en ai pour deux heures à circuler dans Rome, de communauté en communauté et d’hôtel en hôtel.»112 Malgré tout le mal que se donnèrent l’abbé Berto et les autres membres du Cœtus, les modi du groupe n’eurent pas beaucoup de succès. Le 22 novembre, par exemple, l’abbé Berto écrivit: «Mes journées ici sont des journées de douleur. Ce matin même à peine plus de trois cents Pères contre près de deux mille ont voté dans le sens de la romanité! Je t’en dis juste assez pour que tu saches combien j’ai le cœur meurtri, et pour que tu pries. Non pour ma personne qui ne compte pas, mais pour que la vérité se fasse un jour.»113 La fabrication et la diffusion des modi modifia le travail des théologiens par rapport à l’année précédente. L’abbé Berto en fit part à plusieurs de ses correspondants. Ainsi, par exemple, le 14 octobre, il écrivit à un adolescent: «Mon travail ici est très différent de celui de l’année passée où je travaillais seul, et au service à peu près exclusif de Mgr Lefebvre et de quelques autres Pères. Cette année, sans cesser d’être au service de Mgr Lefebvre, je travaille aussi, avec un petit groupe de théologiens, à élaborer des modifications aux textes présentés officiellement aux Pères; ces modifications sont ensuite polycopiées, distribuées aux Pères, qui, s’ils pensent que ces modifications doivent en effet être faites, demandent par leurs votes que le texte proposé soit changé dans ce sens. C’est un travail très ardu, très difficile, mais certainement le plus utile et le plus important auquel je puisse contribuer selon mes forces. Tu sais déjà que tous les changements que nous proposons sont toujours dans le sens de la plus grande autorité du pape et de la Curie romaine, dans le sens du plus grand honneur de la Sainte Vierge Marie. Sur ces deux points-là, j’espère de la grâce de Dieu que rien ne me fera fléchir ni biaiser.»114 Comme durant la deuxième session, l’abbé Berto aidait Mgr Lefebvre à préparer ses interventions dans l’Aula et il étudiait les schémas. Le 14 octobre, il écrivit à ses Dominicaines: «Vous pensez bien que les ‹modi› ne sont qu’une 110 111 112 113 114 Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à P., 5 octobre 1964. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à D., 26 octobre 1964. Ibidem, lettre de V.-A. Berto aux Dominicaines du Saint-Esprit, 5 novembre 1964. Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à M.P., Rome, 22 septembre 1964. Notre-Dame-de-Joie. Correspondance de l’abbé V.A. Berto, prêtre, 1900–1968, p. 292, lettre de V.-A. Berto à un adolescent, Rome, 14 octobre 1964. L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II 313 partie de mon travail. Je n’en ferai pas aujourd’hui, mais j’ai une intervention de Mgr Lefebvre à revoir, et une relation en chantier sur le schéma ‹De Ecclesia in mundo huius temporis›.»115 Le travail du Cœtus était rendu particulièrement difficile par la marche du Concile, comme l’écrivit l’abbé Berto à une Dominicaine le 21 octobre: «Ce qui ajoute à ma tristesse, c’est que le travail ici nous est rendu impossible par le désordre entretenu dans le Concile. Tantôt on nous force à bâcler pour arriver à l’heure, et on apprend brusquement que l’heure est retardée; tantôt au contraire on croit avoir le temps d’étudier mûrement une question, et le vote est inopinément anticipé. Ces empêchements sournois apportés au travail théologique me jettent dans une extrême tristesse, et, depuis surtout une semaine, je me demande ce que je fais ici.»116 Les difficultés s’accumulèrent donc et les membres du Cœtus Internationalis Patrum purent s’apercevoir rapidement que, malgré leur organisation, leur stratégie et leur travail, les événements n’allaient pas dans le sens qu’ils souhaitaient et qu’ils espéraient au début de la session. Comme l’année précédente, l’abbé Berto en souffrit beaucoup. Le 10 octobre, il écrivait à l’une de ses religieuses: «Je ne reste ici que par le plus amer devoir, scandalisé jusqu’aux dernières fibres par tant de millions gaspillés, par tant de folies débitées, par tant d’hypocrisies à peine déguisées, par tant de reniements doctrinaux. Je reste pour défendre nos enfants, nos pauvres enfants désarmés, contre des sophismes qui les livreraient en proie aux pires propagandes.»117 Une dizaine de jours plus tard, le 20 octobre, il confiait à une autre: «Le châtiment viendra, mais à l’heure de Dieu. Pour le moment nous ne pouvons qu’être torturés par la corruption de l’intelligence à laquelle l’assemblée conciliaire (je ne dis pas le Concile) donne plus qu’un prétexte.»118 Le lendemain, 21 octobre, il écrivait: «Je ne sais comment [les enfants] traverseront la période d’affreux désordre qui se prépare pour l’Église, où il faudra avoir sur le front le signe du Pseudo-prophète pour avoir du pain.»119 Ce jour-là, alors que l’assemblée étudiait le schéma XIII, il écrivait à son ancien élève, séminariste: «Bonne et sainte fête de saint Pie X. Prie beaucoup ce grand pape, ce grand géant de lucidité et d’énergie, pour le Concile. Je m’en vais dans une angoisse de cœur que je ne puis te décrire.»120 115 116 117 118 119 120 ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé V.A. Berto aux Dominicaines du Saint-Esprit, 14 octobre 1964. Ibidem, lettre de V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (J), 21 octobre 1964. Ibidem, lettre de V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (C), 10 octobre 1964. Ibidem, lettre de V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (P), 20 octobre 1964. Ibidem, lettre de V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (D), 21 octobre 1964. Ibidem, lettre de V.-A. Berto à CM, 21 octobre 1964. 314 Philippe Roy-Lysencourt Malgré son organisation et sa stratégie, le Cœtus n’avait pas plus de succès que l’année précédente. Le 23 septembre, l’abbé Berto écrivit à une de ses religieuses: «Vous pouvez voir sur les journaux que cette semaine a été pour l’école romaine une série de défaites. Nous combattrions même sans espoir, mais tout espoir n’est pas perdu.»121 L’abbé Berto en souffrit beaucoup. Le 22 octobre, il confiait à une autre religieuse: «J’ai plus souffert spirituellement l’année dernière, mais de cœur je souffre plus cette année. S’il y a une quatrième session, je crois que je n’aurai jamais le courage d’y accompagner Mgr Lefebvre.»122 Cependant, lors de la dernière semaine de la troisième session, retenue par l’historiographie sous le nom de «semaine noire»123 en raison des défaites de la majorité, il y eut un certain revirement de situation. Le vent avait tourné d’une façon plutôt inattendue. La détresse des membres du Cœtus Internationalis Patrum fit place à l’espoir. Les décisions de Paul VI de publier la «nota explicativa praevia» (expliquant le sens dans lequel il fallait comprendre et interpréter la collégialité dans le schéma De Ecclesia), de retarder les votes sur la liberté religieuse et de déclarer la maternité de Marie sur l’Église étaient des victoires importantes pour les membres du groupe. L’abbé Berto s’en fit l’écho. Ainsi, par exemple, sa correspondance témoigne de sa satisfaction et de la valeur symbolique que revêtait pour lui la déclaration par le pape de la maternité de la Vierge Marie sur l’Église.124 Malgré tout, cette session ne s’était globalement pas déroulée comme l’espéraient les membres du Cœtus Internationalis Patrum et ils furent les premiers à être surpris par la tournure prise par le Concile durant la dernière semaine. Voici ce qu’écrivait l’abbé Berto à un colonel le 8 janvier 1965: «Nous avons travaillé sans cesse dans le noir, à tâtons, démunis de moyens, sans même savoir si nous plaisions ou déplaisions au Saint-Père, en face d’adversaires qui disposaient de la presse, de la radio, des grandes conférences, des grands postes dans les Commissions. Lutte si inégale, si accablante, si meurtrissante, que je me demande comment nous l’avons soutenue jusqu’à cette dernière semaine où soudain le Rocher de l’Église s’est découvert, immobile, indestructible, inébranlable, selon la promesse du Seigneur à saint Pierre. Nous avons connu alors que nous avions, comme nous le désirions, servi uniquement la vérité; mais nous ne l’avons connu qu’alors; nous avions eu le temps de souffrir! Vous savez encore mieux que moi [...] que l’espérance n’empêche pas la souffrance! Et vous voyez aussi que vous n’avez pas 121 122 123 124 Ibidem, lettre de l’abbé V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (A), Rome, 23 septembre 1964. Ibidem, lettre de V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (M), 22 octobre 1964. À ce sujet, voir Luis Antonio G. Tagle, La «semaine noire» de Vatican II (14–21 novembre 1964), in: Giuseppe Alberigo (éd.), Histoire du Concile Vatican II (1959–1965), Tome IV, L’Église en tant que communion. La troisième session et la troisième intersession (Septembre 1964–septembre 1965), version française sous la direction d’Étienne Fouilloux, Paris/Louvain 2003, 473–553. ASDE, fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de V.-A. Berto à JA, 30 janvier 1965. L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II 315 mal placé l’amitié que vous me faites l’honneur de me porter. À Rome, je n’ai pas été du côté des puissants, du côté de Fesquet du ‹Monde›, de l’abbé Laurentin du ‹Figaro›, du côté de Copin de la ‹Croix›. J’étais du côté de ceux que ces gens en place raillaient et persiflaient quotidiennement, du côté des ‹intégristes›, du côté des ‹rétrogrades›, et, à mon humble rang, j’étais l’un de ceux que le ‹Monde› appelle ‹l’O.A.S. de l’Église›. Je ne sais ce que sera la quatrième et dernière session. S’il plaît à Dieu, je reprendrai le travail, – et je ne changerai pas de camp.»125 Malgré son désir, l’abbé Berto ne put accompagner le supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit pour la quatrième session. Peu de temps après la clôture de la troisième session, il fut victime d’une thrombose rétinienne.126 Cependant, cela ne l’empêcha pas complètement de travailler pendant l’intersession. Ainsi, au cours du mois de janvier, il fit parvenir au cardinal Ottaviani un projet de schéma De natura presbyteratus necnon de presbyterorum sanctificatione, à propos duquel il avait déjà travaillé au cours de la troisième session.127 Cependant, sa santé ne s’améliora pas et il ne put travailler pour Mgr Lefebvre et le CIP durant la dernière session du Concile. La réception du concile Vatican II par l’abbé Berto L’abbé Berto n’avait pas en grande estime les schémas conciliaires. Le 19 septembre 1963, il écrivait: «Si les schémas sont adoptés dans leur teneur présente, il y aura un certain nombre d’expressions gauches, maladroites, nullement éclairantes, obscurcissantes plutôt, qui fourniront matière à de nouvelles controverses au lieu de les terminer. Rien de plus grave n’est à craindre, – seulement Vatican II n’aura pas été un grand Concile.»128 «Rien de plus grave n’est à craindre», écrivait-il. En effet, rien de plus grave n’était à craindre pour lui car il était impossible qu’un concile, infaillible, puisse errer. Seulement, pour les membres du Cœtus, et parmi eux l’abbé Berto, les textes de Vatican II n’apportaient aucun progrès doctrinal et certains d’entre eux 125 126 127 128 Lettre de V.-A. Berto à un colonel C.B., le 8 janvier 1965, ASDE, fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican». Buonasorte, Alain Berto (voir note 89), 140, lettre de l’abbé V.-A. Berto à Mgr Luigi Carli, Notre-Dame-de-Joie, 29 juin 1965; ASV, Fonds Concile Vatican II, Carton 756, dossier 243, lettre de l’abbé V.-A. Berto au cardinal Alfredo Ottaviani, 24 janvier 1965; Buonasorte, Alain Berto (voir note 89), 140, lettre de l’abbé V.-A. Berto à Mgr Luigi Carli, Notre-Dame-de-Joie, 29 juin 1965. ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de V.-A. Berto à une Dominicaine du Saint-Esprit (E), 23 octobre 1964. Ce texte se trouve dans le livre Pour la Sainte Église Romaine, p. 337–346. ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé V.A. Berto au chanoine Madec, 19 septembre 1963. 316 Philippe Roy-Lysencourt étaient jugés, tout au plus, acceptables. Ainsi, par exemple, l’était à ses yeux le De Ecclesia après l’ajout de la Nota explicativa praevia, comme il l’écrivit à ses religieuses: «Fait par nous, le texte aurait eu une autre lettre et surtout un autre esprit; tel qu’il est, et avec les explications que le Saint-Père a fait donner hier, il est acceptable.»129 Malgré tout, l’abbé Berto se déclara prêt à adhérer aux définitions du Concile, quand bien même elles iraient contre ce qu’il avait pensé toute sa vie: «Il ne m’en coûterait rien, vous le pensez bien, d’adhérer aux définitions infaillibles d’un Concile œcuménique, quand même elles seraient la condamnation formelle de tout ce que j’aurais pensé auparavant. Et si telle devait être l’issue de Vatican II, cela montrerait au moins qu’il n’aurait pas été un pur piétinement sur place, qu’il aurait vraiment explicité des vérités jusque-là implicites. Tant mieux, mille fois tant mieux, s’il en doit être ainsi. Il en sera peut-être ainsi, sur la sacramentalité de l’épiscopat.»130 Le peritus de Mgr Lefebvre adhéra effectivement aux documents du Concile. En 1968, il écrivait à un correspondant: «Ce qui reste de ce concile, comme de tous les Conciles antérieurs, ce sont les Actes promulgués par le Souverain Pontife régnant. Les Dominicaines du Saint-Esprit reçoivent intégralement ces Actes.»131 Sa réception du Concile était basée sur une acceptation des textes mais sur un rejet de l’esprit dans lequel ils avaient été rédigés. De plus, s’il adhéra au Concile ce ne fut pas sans douleur comme en témoigna, parmi d’autres, son ami l’abbé Luc Lefèvre: «Ceux qui l’ont bien connu, ont connu sa souffrance à l’heure où grondait l’orage autour de l’Aula de Saint-Pierre, pendant les sessions du Concile, et sa souffrance plus douloureuse encore, crucifiante, au sens propre du terme, aux jours des crises du sacerdoce catholique, de la foi catholique, de l’unité au sein de l’Église catholique romaine.»132 Les documents conciliaires et l’évolution de l’Église post-conciliaire le mirent dans un désarroi terrible. Certaines Dominicaines de la communauté qu’il a fondée soutiennent qu’il en est mort de douleur. Cela est vraisemblable à la lecture de sa correspondance.133 À ses obsèques, Mgr Lefebvre a dit: «On peut sans se tromper, je crois, dire qu’il a été le martyr de cette foi, tant il a souffert pour elle, surtout au cours de ses dix dernières années.»134 Après sa mort, qui 129 130 131 132 133 134 Ibidem, lettre de l’abbé Berto aux Dominicaines du Saint-Esprit, Rome, 17 nov.1964. Ibidem. Ibidem, projet de lettre (non envoyée) de l’abbé Berto à l’abbé Harang, 3 juillet 1968. Luc J. Lefèvre, Le chanoine Victor A. Berto. Monseigneur Ugo Lattanzi, in: La Pensée catholique, n° 118 (1969), 6. Voir sa correspondance conciliaire et post-conciliaire dans les ADSE. Marcel Lefebvre, Homélie à l’occasion des funérailles de l’abbé V.-A. Berto le 21 décembre 1968 à Pontcalec, in: Itinéraires. Chroniques et Documents, n° 132 (1979), 42. L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II 317 survint le 17 décembre 1968, la revue Itinéraires consacra plusieurs pages à l’abbé Berto. Dans son témoignage, Jean Madiran, qui l’a bien connu, a écrit les mots suivants: «Notre ami vénéré, l’abbé Berto, est mort en plein combat, son cœur de chair brisé par l’autodestruction de l’Église. [...] Il avait perdu sa santé en assistant et en participant, comme expert de Mgr Marcel Lefèbvre [sic], au déroulement de la seconde et de la troisième session du Concile. Ce qu’il en a écrit sur place est un témoignage qui sera connu un jour. Il ne reconnaissait plus Rome. Il n’imaginait pas, avant de l’avoir vu et touché, que les choses en étaient à ce point. [...] De voir sur place et par luimême ce qu’il en était, l’Abbé Berto crut en mourir. Il aperçut aussitôt tout ce qui allait en découler. Il se rendait compte que dans la Rome conciliaire une campagne de presse avait plus de poids et d’influence qu’un mémoire théologique. Il discerna plusieurs manœuvres honteuses et une marée montante de procédés et procédures indignes. Il savait par l’histoire de l’Église que tout cela est possible: mais cet homme d’expérience n’avait pas eu cette expérience-là. Elle le submergea, du moins physiquement, et il ne s’est jamais relevé de cette épreuve. [...] Il savait qu’un Concile doit être conduit par l’Église de Rome, c’est-à-dire par le pape et les organes de son gouvernement: il assistait à la démolition des Congrégations romaines, insultées et bafouées de la tribune même du Concile, et par des cardinaux, aux applaudissements de la presse mondiale. Il prévoyait que cette humiliation méthodique de l’autorité, imprudemment tolérée, allait descendre du haut jusqu’en bas de l’Église, du haut jusqu’en bas du Peuple de Dieu, ruiner universellement l’autorité des évêques, des curés, des parents, des maîtres, et inaugurer dans la jeunesse un temps de sauvage anarchie. Le spectacle de la trahison des uns, de la démission des autres, de surcroît mises bruyamment l’une et l’autre au compte de l’action du Saint-Esprit, était au point de le tuer quand Mgr Marcel Lefèbvre [sic] le dispensa de venir l’assister à la dernière session. Je crois que depuis ce moment, il n’attendait plus que la mort.»135 L’abbé Berto mourut avant la mise en application des prescriptions du Novus Ordo Missae et les années les plus «chaudes» de la crise doctrinale postconciliaire. Dans les milieux traditionalistes, certains se demandent s’il aurait ou non suivi Mgr Lefebvre. Il est hasardeux de faire des suppositions sur l’évolution qui aurait été la sienne s’il avait vécu plus longtemps car, si l’on peut penser qu’il aurait pu rejoindre Mgr Lefebvre dans sa contestation du Concile, il ne faut pas perdre de vue qu’il était assujetti (par principe et sentimentalement) à la papauté et qu’il s’est très explicitement déclaré prêt à se soumettre aux définitions de Vatican II même si «elles seraient la condamnation formelle de tout ce [qu’il avait] pensé auparavant.»136 Pour ne pas tomber dans l’histoire contrefactuelle ou l’uchronie, il faut se contenter de retenir qu’il a reçu les textes du Concile en rejetant l’esprit qui en avait été à l’origine. 135 136 Jean Madiran, «Mémorial», in: Itinéraires, n° 132 (1979), 4–19. ADSE, Fonds V.-A. Berto, dossier «Le deuxième Concile du Vatican», lettre de l’abbé Berto aux Dominicaines du Saint-Esprit, Rome, 17 novembre 1964. 318 Philippe Roy-Lysencourt L’abbé Victor-Alain Berto et le concile Vatican II Pendant la première intersession du concile Vatican II (1962–1965), Mgr Marcel Lefebvre, supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit et président du Cœtus Internationalis Patrum (principal groupe d’opposants au sein du Concile), demanda l’aide d’un peritus privatus, l’abbé Victor-Alain Berto. Celui-ci, prêtre séculier du diocèse de Vannes, était alors en charge d’un orphelinat. Dans cet article, l’auteur présente le parcours préconciliaire de ce prêtre en mettant en évidence les raisons qui expliquent que Mgr Lefebvre l’ait choisi comme théologien personnel, la participation de cet homme au Concile, ainsi que sa réception de l’événement. Victor-Alain Berto – Vatican II – Marcel Lefebvre – Coetus Internationalis Patrum (CIP) – milieux traditionalistes – concile – papauté. Pater Victor-Alain Berto und das II. Vatikanum In der ersten Intersession des Zweiten Vatikanischen Konzils (1962–1965) bat Bischof Marcel Lefebvre, Generaloberer der Kongregation des Heiligen Geistes und Präsident des Coetus Internationalis Patrum (die Hauptgruppe der Opponenten am Konzil), um die Hilfe eines peritus privatus, Pater Victor-Alain Berto. Dieser, ein Weltpriester aus der Diözese Vannes, leitete damals ein Waisenhaus. In vorliegenden Artikel stellt der Autor den vorkonziliaren Werdegang dieses Priesters vor, wobei er die Gründe hervorhebt, warum Bischof Lefebvre ihn zu seinem persönlichen Theologen gewählt hat, dann seine Teilnahme am Konzil sowie dessen Rezeption. Victor-Alain Berto – II. Vatikan I – Marcel Lefebvre – Coetus Internationalis Patrum (CIP) – traditionalistische Kreise – Konzil – Papsttum. Padre Victor- Alain Berto e il Concilio Vaticano II Durante la prima intersessione del concilio Vaticano II (1962–1965), il vescovo Marcel Lefebvre, superiore generale della congregazione del Santo Spirito e presidente del Coetus Internationalis Patrum (principale gruppo d’oppositori nel Concilio), chiede l’aiuto di un peritus privatus, padre Victor-Alain Berto. Costui, prete laico della diocesi di Vannes, allora dirigeva un orfanotrofio. In questo articolo, l’autore presenta il percorso preconciliare di questo prete, mettendo in evidenza le ragioni che spiegano perché Monsignor Lefebvre l’aveva scelto come teologo personale, la partecipazione di questo uomo al concilio e come egli recepì questo evento. Victor-Alain Berto – Vaticano II – Marcel Lefebvre – Coetus Internationalis Patrum (Cip) – Circoli tradizionalisti – Concilio – Papato. Father Victor-Alain Berto and the Second Vatican Council During the first session of the Second Vatican Council (1962–65), bishop Marcel Lefebvre, general superior of the Congregation of the Holy Spirit and president of the Coetus Internationalis Patrum (the main group of opponents at the Council) asked for the help of a peritus privatus, Father Victor-Alain Berto. Berto, a secular priest from the diocese of Vannes, was the director of an orphanage at that time. In this article, the author presents the preconciliar career of this priest by highlighting the reasons why bishop Lefebvre elected him as his personal counselor during his participation at the Council and its reception. Victor-Alain Berto – Vatican II – Marcel Lefebvre – Coetus Internationalis Patrum (CIP) – traditionalism – papacy. Philippe Roy-Lysencourt, Prof. Dr., Université Laval, Institut d’Étude du Christianisme.